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« Magique et naturel » : Klaus Mäkelä, le coup de foudre de l’Orchestre de Paris

Le Point

Le violoncelliste et chef d’orchestre finlandais de 24 ans est nommé directeur musical de l’Orchestre de Paris, précédé d’une réputation flatteuse.

« À la sortie du concert, c’est Klaus Mäkelä lui-même qui s’est avancé de trois pas vers l’une de mes collègues pour aller la remercier. Elle n’était pas soliste et a été très touchée qu’il prenne le temps d’aller à sa rencontre. On sent que c’est quelqu’un avec qui on aura des relations humaines. » Cette anecdote, c’est la violoniste de l’Orchestre de Paris Joëlle Cousin qui la raconte ; elle date des débuts du chef finlandais dans la capitale en juin 2019 et complète la réputation très flatteuse qui précède le futur directeur musical de l’Orchestre de Paris : brillant à la scène et humble à la ville. Et tout cela à seulement 24 ans.

C’est l’autre remaniement de la semaine, après le départ de Daniel Harding en août 2019, Klaus Mäkelä dirige son premier concert à la Philharmonie ce jeudi soir – Ravel et Beethoven au programme du deuxième concert (complet) en public, depuis mars, après l’annonce de sa nomination au poste de directeur musical de l’Orchestre de Paris. L’installation du Finlandais va se faire en deux étapes, du fait d’engagements à court terme du chef, notamment avec l’orchestre Philharmonique d’Oslo. Dans un premier temps, du 1er septembre au 31 août 2022, il va occuper le poste de conseiller musical de l’Orchestre de Paris avant d’endosser pleinement le rôle de directeur musical pour une durée de 5 ans. « Une bonne opération », se félicite le directeur de la Philharmonie de Paris, Laurent Bayle, au vu de la jeune et fulgurante, mais brillante, carrière du Finlandais.

Une vocation adolescente

Né en 1996 à Helsinki dans une famille de musiciens, Klaus Mäkelä commence par étudier le violoncelle, mais s’intéresse très vite à la direction d’orchestre. « Depuis tout petit, il chantait au sein du chœur de l’Opéra national de Finlande, explique Laurent Bayle, il se visualisait déjà à travers le chef. Il a été attiré par la direction d’orchestre très tôt. » Cela va passer notamment par un apprentissage au sein de la prestigieuse Académie Sibelius d’Helsinki, qu’il intègre à 12 ans, sous la férule du chef Jorma Panula, pédagogue réputé et déjà « fournisseur » d’une multitude d’autres chefs talentueux (Esa-Pekka Salonen et Mikko Franck, par exemple). « C’est difficile d’apprendre la direction d’orchestre seul chez soi contrairement à un instrument, il faut être face à un orchestre et vous avez beaucoup de jeunes musiciens qui n’ont pas cette possibilité. Klaus Mäkelä n’est pas dans cette catégorie, il est né dans un pays musical qui lui a offert très tôt l’occasion de se confronter à un orchestre. »

Dès 2017, à 21 ans, le jeune homme fait ses débuts à la baguette avec l’Orchestre symphonique de la radio suédoise, puis à partir de la saison 2018-2019, c’est l’explosion. Il est artiste associé de la Tapiola Sinfonietta, directeur artistique du festival de musique de Turku, fait ses débuts à l’Orchestre de Bamberg, à l’Orchestre national de Lyon, à l’Orchestre de la radio de Francfort, joue avec l’Orchestre de Cleveland, l’Orchestre symphonique de la radio bavaroise ou l’Orchestre symphonique de Birmingham et finalement une première fois en juin 2019 à la Philharmonie avec l’Orchestre de Paris alors en plein casting de son nouveau directeur musical. « À 24 ans, il a la maturité d’un chef de 30 ans, s’enthousiasme Laurent Bayle. De 18 à 22 ans, il a élargi son répertoire dans des orchestres plus locaux et, à 22 ans, il a démarré une vraie carrière internationale. Je n’ai pas d’exemples de chefs aussi précoces que ça. »

« En 15 minutes, il s’est passé quelque chose d’exceptionnel »

Joëlle Cousin a été marquée par la première répétition à la Philharmonie. « Je m’en souviens parfaitement, il était attendu et précédé d’une très bonne réputation. C’était instantanément magique et naturel, on a vu en quinze minutes qu’il se passait quelque chose d’exceptionnel. Je me rappelle que j’étais vraiment galvanisée et je regardais mes collègues du coin de l’œil, on était tous pareils. À la pause, déjà, on s’est dit qu’il y avait un engouement incroyable. » La musicienne raconte encore le « coup de foudre » entre le jeune homme de 24 ans et l’orchestre : « Personnellement, mais c’est aussi le cas d’une grande majorité de mes collègues, j’ai aimé, en plus d’un talent musical incroyable, le naturel et la maturité de sa relation avec l’orchestre. » « Ce genre de choses ça marche ou ça ne marche pas, il faut que les deux parties se sentent en confiance, respectées par l’autre. Dès la fin de la première répétition, les retours des musiciens étaient très très favorables », abonde Laurent Bayle. « Trois heures face à des musiciens qui connaissent l’œuvre et à qui on ne la fait pas, on voit très vite les défauts dans la cuirasse. »

De l’autre côté de Paris, au siège de Radio France, Marc Desmons, premier alto solo de l’Orchestre philharmonique, a eu l’occasion de jouer à la fois sous la direction du chef et aux côtés du violoncelliste Klaus Mäkelä. Il garde le souvenir de répétitions en orchestre avec le Finlandais, « fluides et cordiales. » « C’est quelqu’un de très brillant, de très rapide, qui a une très bonne oreille, un sens du son et du phrasé et, donc, un travail intéressant et agréable. Il arrive à insuffler un rythme à la répétition, on ne s’ennuie pas. Il est agréable et a un bon contact. C’est une de ses grandes forces : même s’il est jeune, il semble avoir beaucoup dirigé. Il n’a pas dix ans d’expérience, mais il s’y prend bien, n’est pas tendu et respecte les musiciens. Il les met à l’aise, c’est 90 % du boulot. »

Un engagement de sept ans

Costume sombre, blondeur sage et lunettes cerclées d’écailles, Klaus Mäkelä, qui s’exprime en anglais, a aussi marqué par la précision de ses gestes et la concision de sa communication. « Les longues explications insupportent un orchestre de haut niveau. L’orchestre attend de vous quelque chose de personnel, mais ce n’est pas un cours au Collège de France, commente Laurent Bayle. Il faut que ça passe par les gestes et que les musiciens sentent qu’il sait où il veut aller et qu’il traduit correctement sa vision. » « Mäkelä, il est grand, son corps et ses intentions musicales sont très lisibles », décrit Joëlle Cousin. « On rentre tout de suite dans la musique, c’est la meilleure manière de procéder. Au moment du concert, les mots vous ne les aurez plus. Lui, il est arrivé, il a ouvert sa partition, a levé le bras et, tout de suite, c’était parti. » Dans la salle pour le premier concert parisien du chef en juin dernier, Laurent Bayle se souvient de la « précision et de l’efficience de sa gestuelle, totalement aboutie ». « C’est un chef qui est dans une posture moderne, qui n’est pas ascétique, mais dans une ligne de contrôle. Il a un sens de la dramaturgie ; il sait donner une forme à l’œuvre qui permet de tenir et les musiciens et le public, ce sont des qualités centrales pour un chef d’orchestre. Il a sa vision personnelle mais pas iconoclaste. »